Croyance
et expérience
Enseignement de mars 2016
Lama Shérab Namdreul
Transmission
Quelle
que soit l’époque où se fait une transmission de sagesse passant d’une culture
à une autre, il est nécessaire de faire ressortir l’essence de son enseignement
et d’en discerner les contingences socio-culturelles, théocratiques ou
politiques. Cela doit se faire avec la plus grande exigence intellectuelle pour
s’éviter une adaptation de pis aller ou un
« copier-coller » avec le risque d’être réduit à l’exotisme ou à l’importation de
diktats théocratiques auxquels risquent d'adhérer ceux qui se contentent de croire au seul crédit d'un titre ou d'un faciès.
Traducteur
Quelle que soit la tradition, l’admirable
travail des traducteurs est un des éléments majeurs dans la compréhension et la
transmission d’une sagesse. Un travail d’exploration au cœur de la Pensée
bouddhique dans sa fibre transculturelle en gardant à la conscience
l’universalité de son propre héritage spirituel, philosophique et intellectuel.
Aujourd’hui, après quelques décennies de présence du Bouddha-dharma
en « terre occidentale », une certaine maturité et appropriation de
notre langage permettent de mieux dégager et rehausser le parfum du sens
initial et universel du Dharma bouddhique.
Instructeur
Personnellement, je ne me sens ni
pratiquant ni instructeur du bouddhisme
[1]
« tibétain » et à contrario, je ne me sens pas de revendiquer un
bouddhisme « français ». Je préfère
parler de Bouddha-dharma[2]
qui, selon le véhicule (sct. Yana) abordé, informe
l’envergure de son enseignement : restreint (sct. Hina),
immense (sct. Maha), immuable (sct. Vajra) et unique (sct. Eka).
La transmission du Dharma ne peut
pas se faire dans une attitude d’occidental complexé où l’on se contenterait
d’un « bouddhisme adapté » aux occidentaux. Le fond n’est pas adaptable (cf. Pédagogie). La
forme est adaptable en une autre forme, mais faut-il encore s’assurer que le
fond subsiste. Pour éviter l’adaptation d’un bouddhisme pour un autre
bouddhisme ou l’aménagement d’une méthodologie, le travail des instructeurs,
toutes origines confondues, est également un des éléments majeurs dans la
compréhension et la transmission d’une sagesse. Un travail de vigilance
pour transmettre le Bouddha-dharma dans toute sa
sagesse universelle et transhistorique.
Sans qu’il faille renier ses
origines socio-culturelles, il est nécessaire pour tout instructeur de déceler sa
part de subjectivité et ses influences dans sa pédagogie du Dharma.
Élève
Le
Bouddhadharma est une transmission du sens, de la vue et de l'expérience au
service de toute personne aspirant à l'Éveil de sa conscience. Une transmission
de sagesse est tout autant sous la responsabilité de l'instructeur que de l’élève. Le travail des élèves est également un des éléments majeurs dans la
compréhension et la transmission d'une sagesse.
Une
transmission se doit d’être au service de l'élève qui, fort de son aspiration, n’attend juste d’un
instructeur qu’il lui transmette les éléments lui permettant de mener à
bien son chemin vers l’Éveil. Pour cela, le bouddha Sakyamouni a suggéré pour
base les quatre sceaux du Dharma[3] et
les quatre « garanties[4] »
(tib. Teun pa Chi).
Croyance
Le Bouddha-dharma ne se base pas sur la croyance.
La croyance n’est peut-être pas
un problème en soi, mais, par je ne sais quel mécanisme grégaire, les croyances
similaires des uns et des autres forment une idéologie de groupe qui se
convainc et veut convaincre qu’il est le seul légitime à juger qui est orthodoxe
et qui est hétérodoxe, qui est pur et qui est impur, qui est gentil et qui est
méchant, qui est fréquentable ou pas etc.
Je
pense qu’il est nécessaire de faire une distinction entre le Bouddhadharma et
le bouddhisme dont leur contradiction a généré le sectarisme religieux tibéto-tibétain[7]
tout
en façonnant la spécificité du bouddhisme au Tibet et de l'Himalaya avec ses conflits
dynastiques, théocratiques, patrimoniaux allant s'inventer des légitimités transcendantes ou mythiques ; conflits qui s'exportent aujourd’hui
dans quelques centres bouddhistes en France où certains dits « Rinpotché »
n’hésitent pas en encourager les dissensions dans une sangha.
La croyance
n'est pas un problème en soi tant qu'elle ne devient pas une idéologie
justifiant certains bouddhistes d’en oublier le respect
le plus élémentaire envers tout individu ; sa liberté de conscience.
Compréhension et expérience
À défaut
d’expérience et d’analyse, une personne risque de se contenter de croire et
finalement de succomber aux perversions de la
croyance : idéalisation, superstition, persuasion, adhésion, fascination,
exaltation, culte de la personnalité, endoctrinement, radicalisation, gouroutisation etc. Tout le contraire de ce qui fait l’émancipation
d’un individu qui s’appartient à lui-même[8]
.
Il est une peur pleine de malice
Qui nous justifie malveillance et
menace.
Il est une autre qui prend l’allure
d’un charme
Et nous tire
cependant vers un abîme obscur.
Et puis cette peur de ne pas exister
Qui dresse des prisons à
Tant de peurs qui séjournent à la
lisière d’un vide
Qui nécessite juste que l’on soit à
même soi.
Puisse une analyse honnête et lucide
Déjouer leur emprise et retrouver la
raison.
Puisse une enstase conséquente et
souple
Nous apporter maturité et clarté.
Puisse la contemplation sans
référence
Nous faire rencontrer le naturel inné
(sahaja).
La communication et le dialogues sont les
véritables outils de la paix. L’incommunication crée les dissensions et les
clivages parfois au sein d’une même sangha.
Le Bouddhadharma se base sur l’expérience.
[1] Ce qui est coutume d’entendre aujourd’hui en occident par « bouddhisme », connote plus l’aspect socio-culturel qu’a pris le Bouddha-dharma dans un milieu spécifique. De là, l’habitude de parler de bouddhisme tibétain, japonais, vietnamien.
[2] Le Dharma énoncé par le Bouddha Sakyamouni se résume en l’affirmation d’une absence de réalité aussi bien en les phénomènes qu’en l’esprit qui les appréhende.
[3]
Les quatre sceaux : 1) Tout phénomène composé est transitoire. 2) Tout
phénomène souillé d’une saisie est souffrance. 3) Tout phénomène est vide
d’entité. 4) Nirvana est apaisement.
Quand on écoute un enseignement quel qu'il soit,
se référer aux quatre
sceaux du dharma permet de définir si l’enseignement
relève de la vue bouddhique ou non.
[4] D’autre part, le
Bouddha Shakyamouni nous propose quatre guides (tib. Teun pa
Chi) qui nous garantissent contre l’endoctrinement ou la fascination.
1) Se référer aux sens et non pas aux mots. 2)
Se référer à l’enseignement et non pas à l’enseignant. 3) Se référer à sa
propre expérience. 4) Se référer à la connaissance de la vacuité.
[5] Allusion au concept de "servitude volontaire" de La Boétie (cf. Discours de la servitude volontaire).
[6] Cf.
Larousse : Société où l'autorité politique a une assise d'ordre divin et
où le détenteur du pouvoir est soit l'incarnation d'un dieu (dalaï-lama), soit
son descendant (Inca), soit encore son ministre (grand prêtre chez les
Hébreux). Dans un État théocratique pur, la loi civile et la loi religieuse se
confondent.
[7] La tolérance que l’on prête généralement au bouddhisme à l’égard des autres religions relève plus de la condescendance que d’une véritable compréhension philosophique. Sans autre approfondissement, certains maîtres tibétains taxent de vue théiste, la tradition biblique. Par contre, en interne, entre "chefs", école, caporaux et adeptes, l’intolérance est bien présente qui peut faire montre de violence.
[8] « C'est
une erreur de vivre selon le mode d'autrui et de faire une chose uniquement
parce que les autres la font ... C'est un don inestimable de s'appartenir à
soi-même. »
Sénèque
« Être, au sens fort, ce n’est pas multiplier et grandir, c’est
s’appartenir à soi-même. » Plotin
[9] Généralement traduit par souffrance, Doukha est mal-être et contrariété existentielle face à la naissance, la mort, la vieillesse et la maladie etc.. Doukha est à considérer comme symptôme de nos illusions.
[10] L'excommunication : du latin ecclésiastique ex-communicare, « mettre hors de la communauté ».
[12]
Les trois
confiances (tib. Dé pa
Soum) : confiance affective et à-priori, confiance issue de la raison et
confiance acquise par l’expérience contemplative.